Les conseils d’Audrey Aubry – Les ATS en France

Pourrais-tu te présenter ?
Je suis Audrey Aubry, consultante en management et méthodologies de projets.
J’ai mené des projets d’implémentation de deux générations d’ATS pendant une vingtaine d’années (i-GRasp, TalentLink, EasyCruit, SmartRecruiters), pour des organisations de tous horizons, de l’institution européenne au groupe international, des maisons de luxe à la startup visionnaire, en passant par l’ESN, l’hôpital universitaire ou la jolie PME, avec le plaisir immense de voir s’épanouir les équipes de mes clients autour de ce projet fédérateur qu’est celui de la mise en place et le déploiement d’un ATS (Applicant Tracking System).
J’ai adoré les accompagner dans cette courbe du changement, du déni au désespoir jusqu’à l’acceptation et l’engagement. Une transformation digitale tout en se challengeant dans ses pratiques de recrutement et en alignant des équipes multiculturelles, un sacré défi relevé par des personnes humbles, souvent dans l’ombre de personnalités plus médiatiques, et que je salue au passage si elles se reconnaissent et se souviennent du coeur qu’elles ont mis dans leur projet. J’étais celle qu’on appelait en panique pour trouver des solutions, convaincre la Direction ou faire passer les messages aux managers. J’ai beaucoup appris à leurs côtés. Côté éditeurs, j’ai eu la chance d’être entourée d’équipes très professionnelles et passionnées qui m’ont fait confiance et avec qui nous avons mis en place de belles initiatives et fait évoluer nos solutions.
Aujourd’hui, j’interviens en freelance en supervision de consultants chefs de projets et auprès d’éditeurs SaaS qui souhaitent optimiser leur processus d’onboarding clients, entre autres projets qui m’animent.
Où en est le marché des ATS aujourd’hui ?
La deuxième génération des ATS est toujours là. Lorsqu’ils ont émergé c’était pour remplacer des solutions devenues complexes à mettre en place et à maintenir. Ils frôlent parfois, à leur tour, cette lourdeur. Ils doivent composer avec ce qu’on appelle le “legacy” de leurs solutions. C’est tout l’art des équipes Produit de savoir recycler l’existant, de le faire évoluer et d’innover.
La troisième génération est arrivée, prônant l’innovation ou la simplicité d’utilisation et de mise en œuvre mais j’ai le sentiment que les fonctionnalités ont peu évolué même si la technologie permet une navigation plus fluide. Les limites que nous avions résolues il y a 15 ans reviennent : la configurabilité, la multi-diffusion, le multilinguisme, le reporting… Pour certains, le projet n’est pas au cœur de leurs préoccupations, sous prétexte que leur solution est intuitive. Une fausse antinomie selon moi. Si je reste si attachée au projet, c’est parce qu’il permet l’expérience collaborative et humaine dont les outils SaaS ont besoin pour prendre leur place au sein des organisations.
Une solution mal utilisée devient vite une solution à remplacer.
Et en France ?
Je me rends compte que je connais peu les ATS français, à part quelques acteurs historiques toujours présents et bien ancrés.
Je découvre régulièrement des éditeurs engagés qui réinventent courageusement l’histoire de cette solution qui permettra enfin de faire matcher les candidats et les offres d’emploi. C’est au service de cette mission que j’ai animé, pendant 20 ans, avec ferveur, ateliers de configuration, clubs utilisateurs et autres sessions de certifications administrateurs, en bousculant les pratiques des recruteurs, à ma façon. Je ne peux que les encourager à se démarquer.
Quoi qu’il en soit, le marché reste lié à la capacité des organisations à considérer l’acquisition et la gestion des talents comme un maillon clé de leur stratégie. Beaucoup d’entreprises en France ont encore du chemin à parcourir pour atteindre ce niveau de maturité. Un ATS ce n’est pas qu’un système de traitement de candidatures, c’est une solution au service de votre philosophie de recrutement. Si vous n’avez pas de philosophie, je vous invite à faire un pas de côté pour y réfléchir. L’aborder selon l’angle des compétences dont vous avez besoin est une bonne piste.
Comment choisir un ATS aujourd’hui ?
Je dis souvent que les éditeurs font bien leur travail. Ils permettent que soient optimisés les processus de recrutement et simplifient les tâches des recruteurs. Même si cela fait l’objet d’études sérieuses et poussées, le caractère ergonomique et intuitif d’une solution est somme toute assez subjectif et ce n’est pas si simple d’en débattre. Attention de ne pas vous arrêter à cela.
Je recommanderais de rester vigilant à ce que l’expérience de vos candidats soit optimale et qu’elle ne se limite pas à de jolies pages carrières.
S’appuyer sur un CRM version candidat peut faire la différence. J’ai mis du temps à comprendre l’enjeu de ce module. Mais j’ai pu constater l’utilisation qu’en ont fait des équipes de marketing RH qui s’en sont emparé avec aisance, avec de beaux impacts sur l’expérience du candidat. Tout cela prend son sens lorsque, dans vos statistiques, vous êtes en capacité de tracer la provenance d’une personne embauchée qui s’était à l’origine intéressée à la communauté d’experts que vous lui proposiez de rejoindre dans son domaine, en lui proposant du contenu ou des événements de qualité. Précieux lorsque l’on recherche des profils rares, mais aussi lorsque vous avez des besoins saisonniers importants.
Les fonctionnalités d’intégration de cv vidéo, publication sur les job boards, tests en ligne et onboarding seront pertinentes selon vos objectifs de vélocité de recrutement et le type de profils que vous devez recruter. Je laisse le soin aux éditeurs eux-mêmes de défendre leurs fonctionnalités.
Gardez cependant à l’esprit que quelle que soit la solution que vous choisirez, c’est ce que vous en ferez qui fera la différence.
Que vous n’ayez aucune idée des KPIs que vous souhaitez suivre ou que votre Management exige de vous de multiples données (qui ne seront d’ailleurs le plus souvent jamais exploitées pour de vraies décisions stratégiques, je vous invite donc à la sobriété et à “donner du sens aux clics”), l’important est de pouvoir vous appuyer sur un éditeur, ou l’un de ses partenaires, qui vous accompagne dans le processus d’analyse de vos besoins et de définition de vos objectifs. Plus qu’un ATS, choisissez une équipe qui a la compétence de vous challenger, d’évaluer votre degré de maturité, dans le bon sens du terme, et de vous faire grandir, à votre mesure et selon des critères précis. On ne le dira jamais assez, la couleur du bouton n’est pas ce qui doit vous influencer.
Quels sont les éléments importants ?
Les outils de reporting n’ont pas besoin d’être infinis mais ils doivent être suffisamment robustes pour vous permettre de suivre les bons indicateurs qui viendront étayer le discours de la DRH devant le Comité de Direction.
L’implication des utilisateurs finaux dans votre choix est clé. Assurez-vous de la qualité de l’interface dédiée aux managers (oui, j’ai bien dit “les managers”, ahaha, j’adore ce débat ;).
Ne négligez pas l’investissement dans le projet d’implémentation, qui doit être mené par une équipe interne à votre organisation, en collaboration avec votre éditeur, au besoin en faisant appel à un cabinet externe. La conduite du changement, incluant communication interne tout au long du projet, formation et accompagnement des parties prenantes, est indispensable pour ancrer l’adoption de votre ATS et l’inscrire dans la durée. Un outil mal configuré, mal utilisé ne fournit pas de données fiables ; il devient inexploitable et sera bon à ré-implémenter, voire à remplacer, dans deux ans.
Prévoyez une gouvernance, restez autonomes dans la gestion de votre solution, formez vos propres administrateurs pour garder la maîtrise de son évolution et animer votre communauté interne d’utilisateurs, surtout si votre organisation bouge en permanence. La configurabilité de l’outil est donc un critère important.
Être autonome ne veut pas dire être abandonné par son éditeur qui se doit de vous aider à maintenir votre maîtrise de la solution au gré de ses montées de version, à vous partager bonnes pratiques et conseils d’optimisation.
Quelles tendances sur le marché des ATS, tu vois émerger ?
Les intégrations. Ceux qui me connaissent savent que je n’aime pas les usines à gaz 😉 Si vous prévoyez d’intégrer plusieurs solutions, contentez-vous de faire transiter les données minimum. Ne devenez pas esclaves de vos systèmes. Optez pour la simplicité.
La communication avec les candidats s’est également simplifiée. i-GRasp proposait déjà l’envoi de sms en 2005, principalement utilisé à l’époque par la grande distribution. Aujourd’hui opter pour le canal idéal en accord avec le candidat, sms, whatsapp ou email, semble une évidence.
La conformité avec le RGPD est de mise. J’encourage les entreprises qui esquivent cette question à s’entourer d’un DPO externalisé, chacun son métier 😉
De l’automatisation dans les processus, de quoi vous alléger en clics et en charge mentale. Bien utilisée, elle permet de maintenir la cadence. Sur-utilisée, le risque est d’en perdre le contrôle et de déclencher des communications ou des actions non adaptées. Gardez la mesure et maintenez la connaissance au sein de vos utilisateurs.
Je vois l’IA faire la Une des salons de tech RH. Je fais le vœu que la sobriété numérique et que l’accessibilité des solutions RH (pas uniquement celle des sites carrières, mais bien celle des interfaces utilisateurs) soient (re)mises à l’honneur en 2025. Je dis “re” parce que l’accessibilité à connu un bel élan il y a 20 ans et ce serait bien, justement, de faire le bilan. Deux prochaines pistes d’enquêtes pour toi, Laurent ?
Quelle est la place de l’IA dans les ATS ?
Lorsque nous présentions l’assistant intelligent de SmartRecruiters il y a 5 ans, les clients prenaient peur et n’osaient pas sauter le pas. Ils craignaient que le robot n’apprenne de leurs biais. Première mesure : formez vos recruteurs à reconnaître leurs biais et à s’en libérer. Aucun jugement ici, nous sommes tous biaisés et influencés, mais une fois qu’on en prend conscience, on peut s’auto-réguler. Ne faisons pas porter à l’IA la responsabilité de nos travers. C’est à nous de l’éduquer. L’IA propose des profils que vous n’auriez peut-être jamais considérés et apporte, à sa façon, la diversité dont vous avez besoin, en analysant que peut-être ceux qui ont travaillé en restauration ou fait du théâtre pendant 10 ans ont développé les compétences qui leur permettront de mieux réussir dans le rôle pour lequel vous recrutez. Ce n’est qu’un exemple, mais il montre que la puissance du robot peut apporter une autre touche d’objectivité à vos recrutements.
L’IA s’affiche désormais partout de façon très décomplexée pour vous aider à rédiger vos annonces, à les diffuser sur les bons job boards, à rédiger vos mails, à préparer les questions à poser à vos candidats, ou à “chat-boter” avec eux… et la liste ne cesse de s’allonger. Comme dans d’autres secteurs, s’ils n’utilisent pas l’IA pour faire le travail à leur place mais plutôt pour les aider à mieux le faire, pourquoi les recruteurs ne bénéficieraient-ils pas de ces avancées ? Toutefois, quoi que l’IA nous suggère, c’est à nous qu’il revient de garder libre arbitre et dernier mot. Ne serait-il pas de mise qu’un équivalent des trois lois de la robotique d’Asimov appliqué à la tech RH vienne éclairer des pratiques qui pourraient s’emballer ?
Est-ce que l’ATS est toujours le mal-aimé des recruteurs ?
Le mal aimé des recruteurs ? Le serait-il devenu ? J’ai gardé le souvenir de recruteurs contents, voire fiers de leur ATS. Mais j’insiste, l’ATS parfait n’existe pas. C’est ce que vous en faites, qui fait que vous aimez votre solution ou pas. Je me répète, cela mérite d’investir dans le projet, en interne, avec l’appui d’un cabinet externe si nécessaire et auprès de votre éditeur. C’est le fameux triangle humains-processus-technologie. Ceux qui ont négligé cette étape se retrouvent avec une solution dont les utilisateurs ne veulent plus et il devient compliqué de renverser la tendance. Mais ça c’est vrai pour plein de solutions, pas uniquement les ATS 😉
En revanche, je dirais qu’il est le mal aimé des candidats.
Aujourd’hui, la difficulté de trouver un emploi malgré la multitude d’annonces que les alertes email déversent dans leur boîte email est toujours une réalité. J’encourage les éditeurs et les recruteurs à redoubler d’inventivité pour aller à la rencontre des candidats et faire en sorte qu’ils gardent l’envie de postuler en ligne ; car la croyance, à tort ou à raison, qu’une fois l’annonce publiée, les jeux sont déjà faits, et qu’il vaut mieux essayer de trouver un job par le biais du marché caché, reste vive. Le candidat peut avoir le sentiment que sa candidature ne sert qu’à alimenter la data des recruteurs. Si elle permet discussions et rencontres, l’expérience n’en sera que meilleure.
Et puis les annonces trop parfaites et archi-exigeantes font peur et l’exercice du CV et de la lettre de motivation reste fastidieux.
Ce qui est sûr, c’est que les candidats n’en peuvent plus de recevoir ces fichus mails de refus automatiques… Quand ils en reçoivent, d’ailleurs. Il semblerait qu’on en soit encore là 🙁.
Bref, encore beaucoup à construire ou ré-enchanter, au plaisir de poursuivre ces échanges autour d’un café 🍵
Merci beaucoup !
Merci à toi Laurent 🙂